Les Réseaux de l’Ombre

Bâtisseurs de l’Ombre? 

Puisatiers et autres ouvriers de l’au-dessous, mais qui sont-ils?

Très peu d’archives à leurs sujets, et pourtant, quel travail inouï que de transformer ainsi le sous-sol d’une ville en un gigantesque gruyère. Des kilomètres de souterrains creusés dans la terre, le sable, la moraine, le granit…  renforcés de pierres taillées des Monts d’Or, de galets du Rhône, parfois de réemplois romains ou de poteries. Des pierres et encore des pierres d’un poids inqualifiable, qu’il fallait descendre au fond des puits, acheminer sur les fronts de taille, assembler et maçonner dans une obscurité presque totale malgré l’éclairage des lampes à huile. Dans une humidité permanente, dans un air vicié, souvent agenouillés, avec des risques d’éboulis, ces hommes à l’aide d’outils rudimentaires construisaient des ouvrages nécessaires et indispensables pour capter les sources de la ville, et façonnaient sans s’en douter, le merveilleux paysage souterrain que l’on redécouvre aujourd’hui.

Un véritable patrimoine de construction souterraine méconnu et trop peu reconnu.

Un monde d’odeurs ancestrales.

Si la plupart des galeries souterraines sont appareillées de pierres, de nombreuses galeries ainsi creusées se sont éboulées ou obstruées, et même ont pu être bétonnées ces dernières décennies. Mais celles qui ont traversé les âges, restent fièrement debout et fascinent par leur côté naturel.

Comme des cavernes ou des grottes sous nos rues, leurs antres mystérieux restent sauvages.

Une Venise souterraine,

baignée d’obscurité, où les tintements de gouttelettes, les suintements et autres symphonies aquifères deviennent inquiétants, parfois assourdissants.

A chaque siècle, les collines seront percées à la recherche d’eau, ce précieux liquide. Depuis l’Antiquité, la cité s’est forgée un véritable réseau d’irrigation souterraine. Les romains avaient déjà leurs aqueducs enterrés. 

Il fallait chercher loin, très loin même ce liquide vital. On suivait une faille, un fin filet d’eau. Les sourciers, depuis la surface, indiquaient parfois le chemin à suivre. En descendant aux fonds des puits lorsque ceux-ci s’avéraient secs, on se lançait à creuser horizontalement de nombreux tunnels, zigzagants, tournicotants, afin de percer une poche d’eau au delà des couches argileuses.
Les galeries se chevauchaient, se croisaient et sous les collines se tissaient telle une toile invisible, et secrète. Seuls les bâtisseurs de ces nombreux ouvrages et les maîtres de l’eau en connaissaient l’existence. Ces souterrains alimentaient de nombreuses fontaines, de multiples citernes, d’innombrables puits et bassins.
Avec l’urbanisation grandissante et le robinet sur l’évier, de véritables cathédrales inondées, mais aussi d’énormes réservoirs d’eau potable remplacèrent les centaines de points d’eau de la ville.
Mais sous nos rues, sous les pavés, goutte à goutte, des ruissellements, des petits rus se forment, des ruisseaux se créent, des nappes débordent et inondent toujours notre sous-sol. 

L’empreinte du temps.

Sous la ville plus qu’ailleurs, la nature reprend ses droits, narguant par sa magie les travaux qui ont une fâcheuse tendance à détruire toute féerie souterraine. Ainsi, au delà de l’incessante et destructrice mainmise de l’Homme, stalactites, stalagmites, fistuleuses, gours, vasques, calcifications, cristallisations, concrétions reprennent peu à peu possession des lieux, marquant de leurs empreintes le fragile équilibre du monde souterrain. Quels mécanismes physico-chimiques permettent de s’émerveiller devant cette talentueuse alchimie, où l’eau, le calcaire et le temps sculptent goutte à goutte ces réseaux de l’Ombre?

Afin de ne pas revivre la catastrophe de 1930 à Fourvière, l’eau des collines est encore et toujours canalisée hors du ventre de la terre pour des questions de sécurité et de stabilité des terrains.

Un dédale renforcé.

Ainsi, les nombreuses galeries éboulées ou menaçant ruine sont systématiquement renforcées. Sans études archéologiques ou relevés historiques! Mais surtout sans aucune communication au public de ce qui se passe sous ses pieds. Et pourtant, de multiples chantiers, discrets, poussent chaque année au détour des pentes et des balmes de l’agglomération.
Les autorités en place, Ville de Lyon et Grand Lyon, gardent jalousement les secrets des dessous de la cité. Mais pourquoi, Lyon serait-elle la seule ville en France à ne pas s’intéresser à son exceptionnel patrimoine souterrain et ne conserver cette secrète richesse que pour quelques privilégiés?
Même si l’on peut déplorer la destruction systématique de certains souterrains existants pour une standardisation à des gabarits bétonnés, cet univers cimenté peut, lui aussi interpeller l’imagination.
Et c’est le plus souvent une multitude de petits réseaux indépendants, qui lors des travaux entrepris, se rejoignent, se connectent, se superposent, formant ainsi les plus grands labyrinthes des deux collines. Leurs dimensions sont parfois impressionnantes, leurs puits vertigineux et les vides importants.

Des mineurs sous la ville

Le pourquoi du bétonnage des anciennes galeries de drainage est des plus discutables. Néanmoins ce travail pénible, lent, mérite que l’on s’y attarde, ne serait-ce que pour ces hommes spécialisés en travaux souterrains qui effectuent un travail de termites dans l’oubli et l’anonymat le plus total. Ils renforcent notre sous-sol malmené par son grand âge. De ces travaux titanesques, d’un autre temps s’échappent des perspectives de ferrailles, des amoncellements de wagonnets, des enfilades de rails, des enchevêtrements de tuyaux.